"Bonjour Mercy ! Bienvenue sur Farmer.Chat - je m'appelle Grace. Besoin d'aide ? Demande-moi !"
Certaines personnes liront ce message avec optimisme, y voyant une aide pertinente à portée de main. D’autres seront frustrés en comprenant d’emblée qu’ils ont affaire à un robot (un chatbot) plutôt qu’à un interlocuteur humain. Mais pour les femmes vivant en zones rurales, qui ont souvent un niveau d’éducation plus faible et un accès limité aux smartphones et à l’Internet mobile, les chatbots peuvent représenter une véritable révolution.
En fournissant des informations essentielles, les chatbots peuvent donner aux femmes les moyens de prendre de meilleures décisions. Pour les petites exploitantes agricoles, cette aide peut se traduire par une augmentation de la productivité ou l’adoption de pratiques durables du point de vue climatique, renforçant ainsi leur résilience. Dotées des bonnes connaissances et d’une plus grande autonomie, les femmes peuvent également gagner en indépendance financière.
Les chatbots sont des applications alimentées par l'intelligence artificielle (IA) qui utilisent le traitement du langage naturel (NLP) pour comprendre des questions et offrir des réponses en temps réel, par texte ou par voix. Fait important, ils ne nécessitent pas toujours une connexion Internet : ils peuvent fonctionner par SMS ou via des codes USSD (protocole de communication utilisé par les téléphones mobiles), ce qui permet aux utilisateurs d’interagir même sans Internet – un atout précieux dans les zones rurales. Les chatbots sont disponibles à toute heure, fournissent des réponses rapides et contextualisées, sont peu coûteux voire gratuits pour les utilisateurs, et ne demandent pas de compétences numériques avancées.
D’un point de vue commercial, les chatbots sont rentables : ils améliorent l’efficacité en répondant simultanément à de nombreuses demandes, facilitent la personnalisation à grande échelle, garantissent une communication cohérente, et favorisent l’engagement des utilisateurs, tout en permettant un suivi des interactions avec eux.
Ils offrent également une solution économique pour répondre à la diversité linguistique des clients – en communiquant dans plusieurs langues, en traduisant les messages en temps réel et en s'adaptant aux langues locales. Cet atout est particulièrement utile dans les communautés multilingues, telles que l'Inde, où sont parlés des milliers de dialectes.
Comment les chatbots peuvent-ils servir les femmes en milieu rural ?
Depuis 60 ans (!), les chatbots ont évolué : de simples robots SMS suivant des scripts prédéfinis, ils sont devenus des assistants puissants reposant sur l’IA, offrant une aide conversationnelle multimodale en temps réel, personnalisée et contextualisée (grâce au NLP), et disponible dans de nombreuses langues locales.
Les chatbots sont particulièrement importants pour les femmes, qui ont souvent un niveau d’éducation générale ou numérique plus faible et sont moins susceptibles de posséder des smartphones et d'utiliser l'Internet mobile. Ces outils peuvent démocratiser l’accès à l’information et faciliter des conversations sur des sujets que les femmes n’oseraient pas forcément aborder avec des hommes, tout en leur fournissant des conseils utiles ou sensibles. En outre, ils peuvent renforcer leur capacité de décision en facilitant l'accès à des informations pertinentes. Pour une agricultrice dans une petite exploitation, cette assistance peut se traduire par une amélioration de la productivité ou une transition vers des pratiques agricoles adaptées à l’enjeu climatique, ce qui l'aide à renforcer sa résilience. L’accès à des informations adaptées allié à une meilleure capacité d'action peut également favoriser l'indépendance financière des femmes.
En 2023, Digital Green a développé Farmer.Chat : un chatbot alimenté par l'IA conçu pour fournir des conseils agricoles personnalisés en temps réel aux petits agriculteurs. Accessible via une application Android, Farmer.Chat permet aux agriculteurs de poser des questions en utilisant la voix, le texte ou des images dans leur langue locale – une solution pour surmonter les barrières liées à la culture numérique. Le chatbot fournit des recommandations personnalisées sur des sujets tels que la plantation, l'irrigation, la fertilisation et la lutte contre les parasites, en s’appuyant sur une vaste base de données de vidéos de bonnes pratiques et de sources vérifiées. L’objectif est d’améliorer l'efficacité des services de vulgarisation agricole, de promouvoir la résilience climatique et d’accroître la productivité des agriculteurs.
Concevoir des chatbots pour l'impact et l'inclusion
Malgré le potentiel des chatbots, des défis subsistent, en particulier pour les femmes vivant dans les zones rurales. Digital Green y répond par différentes approches.
Faible culture numérique et financière
Si les messages vocaux et les photos permettent aux chatbots de contourner les problèmes liés à l’écrit, le niveau d’éducation numérique, en particulier pour les femmes, reste un frein à l'utilisation des chatbots.
L'assistant IA Farmer.Chat a d'abord été lancé sur des applications familières comme Telegram et WhatsApp avant d'introduire des fonctionnalités multimodales comme la voix et les images. Digital Green accompagne également les utilisatrices en les intégrant dans des collectifs, comme les groupes d’entraide féminins (SHG) ou les organisations de producteurs agricoles (FPO), afin de renforcer leur confiance dans le numérique. Un soutien continu est assuré via l’application, avec des rappels et des conseils saisonniers.
Langue
La plupart des modèles linguistiques sont entraînés sur des ensembles de données centrés sur l'anglais. Digital Green garantit la qualité linguistique en collectant des termes agricoles réels, des échantillons vocaux variés, et en perfectionnant des petits modèles de langage (SLM) pour les langues peu représentées dans les corpus numériques, comme le kikuyu, le bhojpuri, l’haoussa ou le pidgin nigérian. En collaboration avec ses partenaires, Digital Green collecte et annote des enregistrements de locuteurs variés pour mieux refléter la manière dont les agriculteurs s’expriment, et intégrer les termes locaux.
Réticence à utiliser une nouvelle technologie
Malgré leur facilité d'utilisation, les chatbots peuvent susciter des réticences chez les femmes : manque de sensibilisation à ces outils et à leur potentiel, manque de confiance en soi pour les utiliser, ou méfiance envers leur fiabilité.
Digital Green suit en temps réel les données ventilées par sexe sur l’utilisation de Farmer.Chat pour mieux comprendre l'engagement des femmes – ce qu'elles demandent, à quelle fréquence elles reviennent, et si le chatbot les aide à prendre des décisions. Au Kenya, en Inde et au Nigeria, les femmes sont légèrement plus actives, envoyant en moyenne 11,41 messages contre 9,75 pour les hommes. Une étude menée par 60 Decibels en 2024 a révélé que 61 % des femmes (et 55 % des hommes) en Inde avaient constaté une amélioration de leur qualité de vie dans les 45 jours, évoquant une plus grande autonomie, une meilleure efficacité, et un meilleur accès à des conseils agricoles en temps réel.
Coût des données mobiles
Si l’Inde affiche l’un des coûts de données mobiles les plus bas au monde, ce n’est pas le cas partout – ce qui constitue un obstacle pour les femmes, qui ont souvent un accès plus limité à un revenu propre. Farmer.Chat est gratuit, mais le coût des données peut constituer un obstacle. Au Kenya, où l’Internet mobile est cher, Digital Green s'est associé à Safaricom pour offrir un accès à zéro coût. Les utilisateurs pouvaient envoyer des SMS, des messages vocaux ou des photos gratuitement – un modèle que Digital Green espère voir reproduit dans d'autres pays africains. Les utilisateurs de Safaricom ont envoyé près de 1,2 fois plus de messages, sont restés engagés 1,3 fois plus longtemps et ont partagé plus de contenus audio et visuels que ceux n’ayant pas bénéficié de la gratuité – soulignant l’effet des barrières économiques sur l'utilisation.