La Fondation RES4Africa se présente comme un acteur important de la transition énergétique juste en Afrique. Agissant comme un pont entre le continent africain et l’Europe, elle œuvre pour l’accélération des investissements dans les technologies vertes. Composée d’environ 25 parties prenantes internationales issues de neuf pays, RES4Africa s’attaque aux principaux enjeux du secteur énergétique. Ses initiatives incluent des actions de sensibilisation, des analyses approfondies sur les politiques et les réglementations nationales, la formation de cadres, ainsi que des travaux sur la gestion des risques liés aux investissements pour attirer des financements. Dans cette interview exclusive accordée à Agence Ecofin, son Secrétaire général Roberto Vigotti discute des défis auxquels l’Afrique fait face pour accélérer sa transition énergétique, des actions concrètes menées par RES4Africa dans ce sens.
Agence Ecofin : Que fait concrètement RES4Africa en matière de transition énergétique en Afrique ?
Roberto Vigotti : Nous sommes actifs en Afrique depuis 12 ans. Nous travaillons en partenariat avec des acteurs locaux, incluant les agences de régulation, les services publics, les banques, les ministères et le secteur privé local. Notre spécialité, si je peux dire, est la formation des cadres de haut niveau. Ces cinq dernières années, nous avons formé plus de 1700 cadres.
« Notre spécialité, si je peux dire, est la formation des cadres de haut niveau. Ces cinq dernières années, nous avons formé plus de 1700 cadres. »
Certains viennent à Milan, à l’Université Bocconi ou au Politecnico, tandis que d’autres participent à des formations que nous organisons au Maroc ou au Kenya. Nous réunissons des experts du secteur privé et des fonctionnaires des ministères et des agences de régulation pour qu’ils comprennent les nouveaux modèles économiques que nous appliquons.
Nous avons mené une série de missions dans environ 40 pays pour dialoguer avec eux. Nous ne vendons rien, car nous sommes une organisation à but non lucratif. Nous diffusons des idées et sensibilisons. Un autre aspect majeur de notre travail consiste à publier des analyses et des études. Sur notre site web, vous trouverez près de 100 études que nous avons réalisées au cours des cinq dernières années, couvrant des sujets comme l’hydrogène vert, la réglementation, le rôle des femmes dans l’énergie, les jeunes, et l’intégration des interconnexions entre les pays. Certaines de ces études ont été réalisées en partenariat avec des cabinets de conseil renommés.
AE : Vous vous présentez comme un acteur de la « transition énergétique juste » en Afrique, une problématique qui revient souvent dans les discussions autour des énergies renouvelables. Comment garantir que la transition soit équitable pour le continent africain ?
RV : La transition juste a été très tôt évoquée comme un concept clé. Pour clarifier, la transition dont nous parlons signifie passer d’un modèle basé sur les combustibles fossiles à un autre modèle adapté aux besoins spécifiques de chaque pays, pour permettre l’adoption de nouvelles technologies et transformer le continent. Si l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dans son dernier rapport World Energy Outlook reconnait que l’électrification est la clé pour transformer l’Afrique, cela ne signifie pas seulement produire des énergies renouvelables, mais aussi développer des réseaux. L’Afrique manque cruellement de réseaux fiables. Lors de mon passage en Afrique du Sud il y a quelques semaines, on m’a dit : « Monsieur Vigotti, pour que la transition soit juste et pour distribuer l’énergie, nous avons besoin d’au moins 14 000 kilomètres de nouvelles lignes de transmission en cinq ans ». C’est un défi colossal.
Et le problème ne se limite pas aux infrastructures physiques. Dans de nombreux pays africains, les tarifs collectés pour l’électricité ne couvrent même pas les coûts de maintenance des réseaux. De plus, ces réseaux doivent être modernisés et digitalisés, ce qu’on appelle les « smart grids ». Aujourd’hui, il est très difficile pour une entreprise de distribution africaine de fonctionner efficacement. Parfois, elles ne savent même pas mesurer les pertes, les baisses de tension, ou la performance globale. Grâce à ce que j’appelle des innovations frugales – des solutions simples comme des compteurs numériques, des drones, ou des bases de données – il est possible d’améliorer considérablement la performance des réseaux de distribution.
« Grâce à ce que j’appelle des innovations frugales – des solutions simples comme des compteurs numériques, des drones, ou des bases de données – il est possible d’améliorer considérablement la performance des réseaux de distribution. »
La transition énergétique juste est cette transition-là qui bénéficie réellement aux populations, en prenant en compte tous ces besoins. Souvent, lorsqu’on parle d’accès à l’énergie en Afrique, on pense immédiatement aux zones rurales. C’est important, bien sûr. Mais il faut aussi penser aux mégapoles africaines en pleine expansion, comme Johannesburg, Lagos ou Le Caire. Ces villes attirent des millions de personnes, et beaucoup n’ont pas accès à l’énergie. Nous travaillons actuellement avec l’Université Columbia sur des études de faisabilité pour améliorer l’accès à l’énergie dans ces mégapoles, en prenant en compte l’urbanisation, l’économie et le climat. Dans les cinq prochaines années, l’Afrique comptera environ 17 mégapoles, toutes confrontées à une forte croissance démographique et à un manque criant d’énergie.
Ce défi est immense. Mais, permettez-moi de souligner ceci : la transition énergétique ne concerne pas seulement l’environnement. Certains disent : « Vous, Européens, avez pollué, maintenant vous décarbonez, et nous, nous nous développons. » Je comprends cet argument.
« Certains disent : « Vous, Européens, avez pollué, maintenant vous décarbonez, et nous, nous nous développons. » Je comprends cet argument. »
Mais voici la réalité : à cause du changement climatique, de nombreuses nations dans le monde adoptent de nouvelles technologies, la digitalisation, les batteries et les solutions intelligentes. Si l’Afrique n’embrasse pas ces nouvelles technologies, ses jeunes seront laissés pour compte. Ce n’est pas une question de choix ou d’environnement uniquement. C’est une question de survie économique et d’avenir pour la jeunesse africaine.
Chaque année, d’importantes capacités d’énergies renouvelables sont installées dans le monde, principalement en Chine. Savez-vous quelle part de financement revient à l’Afrique ? Seulement 2 %. Cela montre que l’Afrique a besoin de politiques, d’infrastructures et de mécanismes incitatifs pour attirer des investissements. Et elle ne peut y parvenir seule. Il faut mobiliser les investissements du secteur privé. Et pour cela, il faut réduire les risques et offrir des garanties solides aux investisseurs.
AE : Quels sont les défis les plus urgents à relever pour accélérer la transition énergétique en Afrique ?
RV : Le premier, et peut-être le plus important, consiste à identifier et à surmonter les obstacles structurels et à répondre aux besoins spécifiques de chaque pays. Et il faut être très direct à ce sujet. Cela inclut également de demander à la société civile de contribuer à la compréhension et à la résolution de ces obstacles, qui freinent une véritable transition sur le continent. Ensuite, il est de notre responsabilité d’accroître la sensibilisation aux technologies propres et renouvelables ainsi qu’aux avantages qu’elles apportent. Mais, il est important de comprendre que l’édification d’un pays est un processus à long terme. Vous ne pouvez pas espérer en récolter les fruits immédiatement. Malheureusement, les politiciens africains, tout comme les nôtres en Europe, pensent avant tout à leur prochaine élection, et non à la prochaine génération. C’est une vision à court terme qui ralentit les progrès.
« Malheureusement, les politiciens africains, tout comme les nôtres en Europe, pensent avant tout à leur prochaine élection, et non à la prochaine génération. C’est une vision à court terme qui ralentit les progrès. »
Pour que la transition énergétique en Afrique réussisse, il faut des dirigeants qui, au-delà des discours habituels – que nous entendons aussi en Europe –, prennent des mesures concrètes pour industrialiser véritablement leur pays. Une industrialisation qui ne soit pas simplement théorique, mais accompagnée de réformes pour améliorer les cadres politiques et réglementaires. Sans des politiques claires et stables, il est impossible d’attirer les investissements nécessaires. L’Afrique doit s’inspirer de régions comme l’Amérique latine ou l’Inde. Ces régions étaient, il y a encore quelques années, bien derrière l’Afrique en matière d’énergie renouvelable. Aujourd’hui, elles ont fait des progrès impressionnants en misant sur leurs jeunes talents, leurs ressources naturelles et des politiques industrielles ambitieuses.
Enfin, il faut tirer parti des ressources exceptionnelles de l’Afrique : ses jeunes, ses compétences, ses richesses naturelles. Pourquoi ne pas les réunir pour initier une croissance verte à travers tout le continent ? Cela ne devrait pas se limiter à des projets d’énergie renouvelable. Pensez aux batteries, au textile, ou encore au chocolat. Le Maroc, par exemple, a lancé un programme éolien impressionnant qui a permis l’émergence de grandes usines locales. L’industrialisation verte, soutenue par des investissements publics et privés, pourrait devenir un modèle pour l’Afrique. Mais pour cela, il faut de la cohérence et une vision à long terme.
AE : Malgré les rencontres internationales autour de ces questions, le dernier en date étant la COP29, le financement des énergies renouvelables en Afrique reste limité. Quelle stratégie les pays africains devraient-ils adopter lors de ces événements pour changer la donne ?
RV : Lorsqu’ils participent à de tels événements, les représentants africains sont généralement très proactifs. Cependant, l’Afrique doit adopter une approche encore plus confiante et stratégique. Le problème principal est la perception des risques. Tout d’abord, la perception d’instabilité politique : que se passe-t-il si un investisseur engage des fonds dans un projet à long terme et que la situation politique se détériore ? Les énergies renouvelables nécessitent des investissements initiaux élevés, même si elles sont rentables sur le long terme. En comparaison, le gaz offre une rentabilité immédiate avec un coût initial plus faible.
Deuxièmement, les conditions macroéconomiques posent problème. Par exemple, certaines entreprises publiques n’ont pas les moyens d’honorer leurs paiements malgré des accords signés avec des producteurs indépendants d’énergie. Cela crée un environnement économique peu fiable.
« Par exemple, certaines entreprises publiques n’ont pas les moyens d’honorer leurs paiements malgré des accords signés avec des producteurs indépendants d’énergie. Cela crée un environnement économique peu fiable. »
Ensuite, il y a les cadres politiques et réglementaires. Sans règles claires et un terrain de jeu équitable, les investisseurs internationaux se retrouvent déstabilisés. Par exemple, des changements soudains de réglementation ou des cadres opaques découragent les grandes entreprises. Enfin, la stabilité institutionnelle est essentielle. Les investisseurs ont besoin de garanties que les projets bénéficieront d’un soutien constant, indépendamment des changements de gouvernement. En Europe, par exemple, nous avons des stratégies à long terme, comme le Global Gateway, qui transcendent les cycles électoraux. L’Afrique doit travailler pour arriver à cette cohérence.