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les partenariats et les innovations seront essentiels pour réduire les problèmes de liquidité des agents de la République Démocratique du Congo

posté par Le Hub de la Finance Digitale , le 30 jan 2019
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Jenny Frydrych est une experte en services financiers digitaux basée à Barcelone, et est spécialisée en gestion des réseaux d’agents des opérateurs de réseaux mobile et en stratégie des affaires et technologies axés sur le développement économique et sociale.

:-p

 

Les récentes observations de l’étude de terrain réalisée par MicroSave Consulting’s (MSC) en République Démocratique du Congo (RDC) montrent qu’un nombre significatif d’agents ont recours à des méthodes informelles de rééquilibrage, en raison de problèmes de liquidité (qu’il s’agisse du numéraire ou de la valeur électronique). Ce comportement présente des risques pour le client, pour l’agent et pour le prestataire de services financiers digitaux. Les compensations informelles trouvent leur origine dans (a) un faible investissement initial en capital, par l’agent, dans les services financiers digitaux, lesquels sont rendus compliqués par (b) la dollarisation de l’économie. Ce phénomène est amplifié par (c) un manque de points d’approvisionnement dû à l’absence d’infrastructures financières suffisantes au sein de la RDC.

Pourquoi la liquidité est-elle si importante dans l’activité des services financiers digitaux ?

Le concept de liquidité désigne la disponibilité en quantité suffisante de deux formes de valeurs : (1) la valeur numéraire (espèces) et (2) la valeur électronique. Un agent de services financiers digitaux a besoin des deux pour servir efficacement ses clients au guichet ou en magasin. Un manque de liquidité l’obligera à refuser des clients, ce qui (a) est source de mécontentement, (b) érode la confiance dans les services financiers digitaux, (c) limite la capacité de l’agent à générer des commissions et à être rentable et (d) influe de manière négative sur la perception de la marque.

Bien que la gestion de la liquidité représente un aspect risqué et coûteux des services financiers digitaux, les prestataires comme les agents doivent en faire une priorité s’ils veulent réussir. Les professionnels du secteur des services financiers digitaux sont d’accord pour affirmer que la gestion de la liquidité est un aspect essentiel du succès de cette activité, mais qu’il est également très difficile de bien le faire, surtout dans les régions dépourvues d’infrastructures de base en matière bancaire, routière et sécuritaire, des caractéristiques communes à la majeure partie du marché de la RDC, à l’exception de quelques grandes agglomérations, où les infrastructures restent malgré tout sommaires. Selon une étude réalisée par le Consultative Group to Assist the Poor (CGAP), la gestion de la liquidité est le principal coût de l'activité d'argent mobile pour les agents de détail, représentant 20 à 30 % des charges totales de l’activité. La résolution des problèmes de liquidité exige un effort délibéré, car elle ne se fera pas toute seule.  

Conclusions tirées des entretiens avec des agents de la RDC 

1.   Les agents des opérateurs de réseaux mobiles (ORM) n’investissent généralement pas assez d’argent dans leur activité de services financiers digitaux, ce qui pèse à la fois sur leur rentabilité et leur viabilité.  

Les ORM de la RDC n’imposent pas systématiquement des exigences minimales de capital initial aux agents qui se lancent dans l’offre de services financiers digitaux. Certains agents indiquent avoir commencé leur activité de services financiers digitaux avec moins de 10 USD. Cette insuffisance de capital constitue une problématique de taille car, dans de telles conditions, les agents ne sont pas en mesure de servir les clients qui souhaitent déposer ou retirer de l’argent dans leur point de service. En conséquence, ni l’agent, ni le prestataire n’encaissent de commission et les transactions sont refusées aux clients, ce qui est source de mécontentement.

À l’opposé, les banques et les institutions de microfinance (IMF) de la RDC imposent un capital minimal de 500 USD à leurs agents, conformément à l’Instruction 29 publiée par la Banque centrale du Congo (BCC). Ces établissements sont ainsi mieux équipés pour servir leurs clients. L’inconvénient reste toutefois que l’importance du montant du capital de démarrage représente une barrière significative pour accéder à cette profession.  

« Vous devez avoir beaucoup d’argent en permanence sur le compte, car cela améliore la confiance des clients qui savent qu’il y a toujours de la trésorerie, et le client en fera même la publicité en incitant son entourage à revenir chez l’agent qui a du capital en permanence. » Un agent du Kasaï

2.   La capacité de liquidité est réduite, du fait que les agents doivent conserver des encours d’argent liquide et de valeur électronique dans deux monnaies différentes : en USD et en CDF

Une difficulté supplémentaire, propre à la RDC et à d’autres économies « dollarisées » (à savoir le Zimbabwe, le Liberia et le Somaliland) est la nécessité pour les agents de gérer leur liquidité dans deux devises à la fois : le dollar américain et la monnaie locale (le franc congolais en RDC). Les agents ont besoin des conserver des encours dans ces deux monnaies pour répondre à la demande des clients et sont exposés à des pertes de change en cas de fluctuation des cours.

Les prestataires de services financiers digitaux de la RDC obligent leurs agents à conserver deux monnaies (USD et CDF), tant en espèces que sur les comptes numériques, pour pouvoir offrir leurs services. La configuration des comptes numériques empêche néanmoins l’échange ou le transfert direct d’encours électronique entre comptes libellés dans des monnaies différentes. Cette contrainte constitue un défi particulier pour le fonctionnement et le rééquilibrage de la trésorerie des agents.

Des conflits d’intérêt se produisent souvent entre agents et clients lorsque la transaction implique une opération de change. Chacune des parties souhaite l’application d’un taux de change qui lui soit favorable mais, en fin de compte, l’agent est généralement obligé d’accepter le taux de change du client s’il ne veut ni le perdre ni refuser la transaction. Cette situation entraîne un impact négatif sur la rentabilité de l’agent, mais aussi sur l’expérience et la satisfaction du client.

« Le taux de change entre l’USD et le franc congolais n’est pas stable. Le cours d’achat et de vente des dollars n’est pas le même. Certains clients nous demandent des taux de change très favorables lorsque nous les servons. Cela a un impact sur ma rentabilité, mais je suis obligé de servir mes clients. » Un agent du Kongo Central 

3.   Beaucoup d’agents admettent avoir recours à des méthodes informelles pour gérer leur liquidité en espèces et en valeur électronique, afin de ne pas avoir à refuser des clients, mais certaines de ces méthodes présentent des risques de fraude

Le circuit officiel de compensation des agents de services financiers digitaux en RDC passe par les « super agents » (appelés localement « partenaires de trésorerie »). Dans ce schéma, les agents se déplacent personnellement auprès d’une succursale locale de banque, d’IMF, ou de toute autre entité agrée telle que le point de vente d’un ORM, en vue de rééquilibrer leur encours de valeur électronique ou obtenir de l’argent liquide. Beaucoup d’agents font état de leur difficulté ou de leur réticence à le faire, ce qui n’est pas étonnant lorsque l’on sait qu’il n’existe que 0,14 agences bancaires pour 1 000 km2 en RDC et que le transport de quantités importantes d’argent liquide est une activité dangereuse, étant donné l’insécurité qui règne sur le territoire.

Puisque le rééquilibrage par le biais du circuit officiel est une activité chronophage, dangereuse et coûteuse pour les agents (compte tenu du manque à gagner lorsqu’ils s’absentent pour se rendre dans une agence bancaire), il est compréhensible que ces derniers se tournent vers les méthodes non-officielles de gestion de leur liquidité, que sont (a) l’emprunt d’argent auprès de collègues ou de proches et (b) l’encaissement des espèces du client tout en retardant le crédit de leur valeur électronique au compte de celui-ci. Bien que ces méthodes informelles évitent aux agents de devoir refuser des clients à court terme, elles présentent, indéniablement, des risques supplémentaires pour le client, pour l’agent et pour le prestataire, à long terme.

« Si je suis coincé, j’appelle mes amis qui m’envoient de l’argent. Par exemple, si un client vient faire une remise de 500 000 CDF et [que] je n’ai pas ce montant en argent électronique, j’appelle un copain qui est agent, il m’envoie de l’argent virtuel pour servir le client, et je le règle en fin de journée. » Un agent du Kivu

Les agents implantés dans les zones urbaines du pays signalent quant à eux moins de problèmes de liquidité, en raison d’un accès facilité aux agences bancaires (ou à d’autres points de rééquilibrage). Ils soulignent, malgré tout, le caractère chronophage, coûteux et parfois dangereux d’une telle activité. Les prestataires de monnaie électronique (Vodacash, Orange Money, Airtel Money) ont mis en place des partenariats avec des banques et d’autres établissements financiers pour permettre à leurs agents d’obtenir des liquidités physiques ou digitales auprès d’agences bancaires dans l’ensemble du pays. Les prestataires bancaires (Finca, Equity Bank) demandent à leurs propres succursales, dans les différentes régions du pays, d’apporter un soutien à leurs agents dans la gestion de leur liquidité.

Quelles sont les perspectives d’avenir pour la gestion de la liquidité en RDC ?

Les pratiques des prestataires de services financiers digitaux peuvent certainement être améliorées au Congo, en vue d’aider les agents à gérer leur liquidité. Bon nombre de prestataires étudient déjà la mise en place de procédures et méthodes officielles novatrices, à travers l’instauration de partenariats avec de nouvelles catégories d’institutions disposant d’une trésorerie abondante et susceptibles, de ce fait, de jouer le rôle de fournisseurs de liquidité (en dehors des banques), ainsi que la création de modèles de « master agent », par exemple. Il est évident que des accords seront nécessaires pour faciliter l’accessibilité et la disponibilité des points d’approvisionnement.

Partenariats et innovations dans le monde pour la gestion de la liquidité

Avec le développement du secteur des services financiers digitaux, les prestataires sont actuellement en train de mettre en œuvre des méthodes innovantes pour permettre à leurs agents de gérer plus efficacement leur liquidité. Nous présentons ci-dessous un aperçu de ces nouvelles pratiques, qui impliquent la conclusion de partenariats entre prestataires de services financiers digitaux, d’une part, et une ou plusieurs entités extérieures, d’autre part. L’ordre de présentation de ces récentes pratiques reflète leur degré de pertinence pour le marché de la RDC, sur lequel la pénétration des smartphones reste très faible, ce qui signifie que les solutions les plus sophistiquées, celles qui utilisent des applications, comme on peut le voir, ne sont pas réellement applicables à l’heure actuelle.

1.    Identification des entreprises disposant de liquidités abondantes qui pourraient jouer le rôle de fournisseur de liquidité en parallèle des banques traditionnellement utilisées à cet effet. Cela permettrait d’accroître le nombre (et donc probablement la proximité) des points officiels de rééquilibrage au service des agents.

2.    Livraison directe d’espèces/monnaie électronique aux agents : plusieurs prestataires de services financiers digitaux développent actuellement des systèmes de « messagers du flottant », dans le monde, offrant ce service en direct, dans certains cas, ou en partenariat avec des intervenants extérieurs, dans d’autres. En Ouganda, Airtel Money s’est associé à 53 sociétés de livraison de fonds (appelées localement « agrégateurs »), qui achètent de la trésorerie (« flottant ») auprès de super agents (les fournisseurs officiels de liquidité) pour la distribuer à chaque agent Airtel Money. Airtel attribue un territoire précis à chaque agrégateur. L’une des principales entreprises assurant ce service, Blacknight, dessert environ 800 agents de différentes régions, principalement dans les zones rurales.

3.    Ajout de fonctionnalités aux comptes d’agent en vue de faciliter la gestion de la liquidité dans deux monnaies, tout en veillant à ce que la structure des commissions encourage les opérations dans les deux devises concernées. Un prestataire d’argent mobile très performant du Somaliland, Telesom Zaad, utilise depuis un certain temps une plateforme à double monnaie et a récemment ajouté une fonctionnalité de change à son service de portemonnaie électronique, ce qui permet aux clients de convertir rapidement des shillings somaliens en dollars américains.

4.    Avances de crédit aux agents : en partenariat avec JUMO, Airtel Ouganda utilise des méthodes alternatives de scores de crédit pour offrir un produit de micro-crédit numérique à ses agents : Wewole. Des options similaires sont également utilisées aux Philippines et à Fidji.

5.    Analyse statistique des données pour mieux prévoir les besoins de liquidité : l’analyse prévisionnelle des données (sur la base de données transactionnelles recueillies auprès des points de service des agents, afin d’anticiper la demande future de trésorerie) pourrait contribuer à améliorer la gestion de la liquidité en fournissant des estimations précises des encours prévisionnels du flottant. Le prestataire africain d'argent mobile Zoona est l'un des pionniers de cette approche en Zambie.

6.    Utilisation de la géocartographie pour parfaire la visibilité des points de rééquilibrage : NovoPay, en Inde, utilise des systèmes sophistiqués de cartographie GIS pour mettre en rapport les agents avec des représentants de terrain situés à proximité qui réapprovisionnent leurs encours de trésorerie.

Conclusion

L’accès limité à la liquidité (numéraire et électronique) est l’un des principaux motifs de la fluctuation de l’activité des agents et de l’insatisfaction des clients en RDC. Cette situation a pour conséquence une prolifération de méthodes informelles et risquées de rééquilibrage. Nous invitons par conséquent les prestataires locaux de services financiers digitaux à examiner de plus près la manière dont ils pourraient soutenir plus efficacement leurs agents, afin de les aider à mieux gérer leur liquidité. Des accords de partenariats solides et durables seront essentiels pour améliorer cette gestion en RDC. Certains prestataires locaux de services financiers digitaux ont déjà commencé à s’intéresser aux méthodes 1 et 2 de la liste ci-dessus : mise en place de partenariats entre banques, fournisseurs de télécommunications, institutions de microfinance (IMF) et autres organisations disposant d’une trésorerie abondante pour augmenter le nombre de points officiels de rééquilibrage pour les agents, et possibilités de mobilisation de liquidités pour que les agents n’aient plus à se déplacer dans le but de rééquilibrer leurs encours.

 

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