Les agricultrices face aux défis de l’adoption des technologies numériques

Par Elizabeth Berthe, Juin 2021

L’agriculture numérique, ou la possibilité pour les agriculteurs d’accéder à des informations agricoles personnalisées et exploitables, a le potentiel d’offrir des avantages économiques, notamment aux petites exploitations agricoles grâce à une productivité agricole accrue, à une gestion efficace de l’agriculture et de l’agro-industrie mais aussi à des opportunités de marché.  Elle offre également des avantages sociaux et culturels grâce à une communication et une inclusivité accrue ainsi que des avantages environnementaux grâce à des ressources optimisées pour la collecte ou la livraison de produits groupés ainsi que l’adaptation aux changements climatiques. Dans les pays les moins avancés, 64,3 % des femmes étaient employées dans l’agriculture et, selon  l’USAID, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, plus de 1,7 milliard de femmes ne possèdent pas de téléphones portables. Dans les cas où elles en ont, on a découvert qu’elles étaient moins susceptibles d’utiliser pleinement leur gamme complète de services.  Le rapport de la GSMA a révélé qu’en Côte d’Ivoire, les femmes sont 9% moins susceptibles que les hommes de posséder un téléphone mobile et 48% moins susceptibles d’utiliser Internet. Par ailleurs, les smartphones connectés au Web ne sont toujours pas la norme dans les régions rurales.

Les plateformes agricoles numériques relient les acteurs de l’écosystème agricole, permettant aux agriculteurs de stimuler la productivité et d’offrir une approche inclusive aux petits exploitants agricoles. L’évolutivité d’une plateforme agricole numérique dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment l’environnement favorable, la taille du marché, le modèle de revenus, les partenaires de la plateforme et les services à valeur ajoutée.  Des études ont montré que les femmes ont plus de  probabilité de bénéficier de produits financiers (jusqu’à trois fois plus) que les hommes et sont plus susceptibles d’investir dans la génération de revenus, de sorte que les plateformes doivent être conçues dans une perspective de genre afin d’exploiter cette opportunité commerciale importante.  Wi Agri, une collaboration entre MSC, CIDR Pamiga et Mobisoft a récemment lancé une plateforme agricole numérique en Côte d’Ivoire, et nous tirons des leçons sur la façon d’améliorer les taux d’adoption et d’utilisation des agricultrices appliquant la centralité du genre. La centralité du genre est un mécanisme qui aide ce processus de changement et de transformation, en favorisant l’autonomisation économique des femmes, grâce à un meilleur accès et à une meilleure utilisation des services financiers. Malgré sa conception centrée sur le genre, nous continuons à faire face à des défis, pas nécessairement exclusifs à la Côte d’Ivoire. Parmi eux, il y a le manque de littératie numérique, des cas d’utilisation pertinents ayant de fortes propositions de valeur ainsi que la facilité d’utilisation.

Permettre l’adoption et l’utilisation des services agricoles numériques

L’utilisation des plateformes numériques nécessite une numératie de base, la littératie en plus de la littératie numérique.  Pour éviter de marginaliser les femmes, les plateformes agricoles numériques doivent être conçues pour permettre leur adoption et leur utilisation active.  Afin de renforcer la confiance des utilisatrices, une approche à plusieurs volets est nécessaire, ce qui implique des interventions humaines et une conception en fonction de besoins spécifiques.

Culture orale. En Côte d’Ivoire, l’écart entre les taux d’alphabétisation est important avec 53,66 % pour les hommes et 40,3 % pour les femmes. D’après les études sur l’oralité menées en Côte d’Ivoire, les femmes ont également des compétences inférieures que les hommes  en matière de numératie, tandis que les jeunes ne sont pas beaucoup plus performants que leurs parents. La numératie financière est fortement corrélée à la propriété et à l’utilisation de comptes d’argent mobile. Environ 6 millions d’adultes ne peuvent pas lire un long chiffre (entre 10 et 99,99 dollars en XOF) en Côte d’Ivoire (45% de la population âgée de 15 ans et plus), ce qui peut créer des défis pour les négociations de prix en ligne.

Nos recherches sur le terrain ont montré que les agricultrices cherchent des moyens de faire croître leur entreprise et veulent améliorer leurs compétences. L’apprentissage axé sur l’histoire par SMS et RVI peut aider à renforcer les capacités. Ces types de modes de prestation fonctionnent bien lorsque les femmes peuvent partager des enregistrements ou des messages avec d’autres femmes. Les messages vocaux aident à transcender les problèmes de langue et d’alphabétisation car ils peuvent être enregistrés dans les langues locales. Comprendre les meilleurs moments de la journée ou de la semaine aide à augmenter l’utilisation ainsi qu’à utiliser des voix auxquelles l’agricultrice peut s’identifier.

Proposition de valeur et cas d’utilisation tenant compte des normes sociales.

La création de cas d’utilisation valides peut encourager les femmes à utiliser leur téléphone si elles comprennent les avantages des solutions. Quelles sont les priorités des utilisatrices ? La proposition de valeur des services doit être conçue autour des intérêts spécifiques des femmes, comme le développement de compétences commerciales, la perception de l'agriculture comme une entreprise ou la compréhension de la manière d'accéder aux intrants ou aux produits financiers. Dans le cadre du projet JSPVAT avec le gouvernement du Bihar, MSC met en place des systèmes de marché numérique pour les petits producteurs dirigés par des femmes et leurs coopératives / collectifs. L’un des services que MSC est en train de mettre au point est un système d’information sur le marché pour fournir aux femmes agricultrices les prix quotidiens du marché des produits pertinents. Une interface utilisateur pour fournir des informations sur les prix  en fonction de l’accès et de la facilité d’utilisation du système par les femmes. Certaines préfèrent recevoir les informations sous forme de SMS sur des téléphones basiques, d’autres sous forme de message WhatsApp et d’autres sous forme d’appels vocaux en langue vernaculaire. L’objectif est de combler le fossé numérique et de mettre l’information à la disposition de toutes les femmes. Il est important que les interventions s’attaquent non seulement aux contraintes liées à l’abordabilité, mais surtout aux normes sociales profondément enracinées qui renforcent et aggravent la fracture numérique. 

Interfaces conviviales et mécanismes de formation. Bien que les utilisateurs aient plus d’expérience aujourd’hui avec l’USSD pour l’achat de temps d’antenne, des services plus complexes via USSD doivent être simplifiés. Un bon exemple du Zimbabwe est Easy-Pay qui réduit la nécessité de mettre les codes USSD et nécessite uniquement le code marchand sans utiliser de données Internet - un message apparaît pour valider l’achat du client. En outre, la possibilité de tester des services sur la plateforme sans coûts de données peut également développer la confiance.

Apprentissage entre pairs. En raison de leur capacité numérique limitée, les femmes s’en remettent souvent à d’autres membres du ménage pour effectuer des transactions par téléphone. Cela limite la capacité de comprendre les comportements des utilisateurs et de déterminer comment les femmes utilisent la technologie. Comme les femmes préfèrent apprendre et travailler avec leurs pairs, les formations en petits groupes ou les visites en face à face par des agents féminins ou des coopératives aident à créer la confiance pour développer les compétences numériques, car les femmes ont des cercles sociaux plus petits d’utilisateurs d’Internet mobile, donc ont moins de personnes à qui poser des questions. Cela peut également être complété par un numéro gratuit pour poser des questions, soit via un RVI ou une personne. Le suivi des données désagrégées fournit des informations pour voir quels canaux fonctionnent.

Les plateformes aident les femmes à dépasser les inégalités et à s’engager davantage dans le développement agricole en leur donnant un accès direct au financement, aux connaissances agronomiques et aux liens avec les marchés. En combinant la formation pour développer leurs compétences et en égalisant l’accès aux intrants et aux conseils agricoles, les écarts de productivité seront réduits. Les agricultrices représentent 40% de la main-d’œuvre agricole en Côte d’Ivoire et beaucoup gèrent les finances et les paiements des ménages, mais elles sont souvent exclues de l’accès aux services financiers, ce qui entrave efficacement la productivité et l’efficacité de la chaîne de valeur agricole ainsi que le potentiel de développement et de croissance des petites agricultrices. Nous continuerons de publier nos apprentissages afin que, collectivement, les femmes puissent être dotées des outils et des connaissances nécessaires pour accroître leur efficacité, leurs rendements et leurs revenus à des niveaux auparavant inaccessibles.