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Covid-19 : la microfinance survivra-t-elle à la tempête qui se lève ?

posté par Le Hub de la Finance Digitale , le 20 avr 2020
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Le doute n’est plus permis : la pandémie de Covid-19 touche également les pays en développement. Des centaines de cas ont été signalés en Amérique latine et en Asie du Sud et, au bas mot, 30 pays d’Afrique subsaharienne font désormais état de contaminations. L’Afrique du Sud et l’Inde ont annoncé hier le confinement de la population pour trois semaines et d’autres pays devraient bientôt faire de même. Au vu des niveaux d’équipement des systèmes de santé, mal armés pour affronter une pandémie, tout laisse craindre des effets du virus encore plus dévastateurs que dans les pays développés, avec des taux de mortalité supérieurs.

Les pays qui ont, les premiers, fait les frais de cette pandémie et mis en place des mesures de confinement pour la contrer ont parfaitement compris tous les dommages qu’elle allait entraîner pour les petites entreprises, les institutions financières qui les soutiennent et, globalement, l’activité économique. Pour eux, il ne s’agit pas de savoir s’il est urgent d’agir mais bien d’estimer l’ampleur de la réponse à apporter.

À ce jour pourtant, la communauté internationale de la microfinance semble réagir plutôt mollement face à l’ampleur de la crise, alors que le coronavirus se propage dans les pays moins avancés. Tandis que le monde entier se mobilise pour riposter à la pandémie, nous devons prendre des dispositions garantissant que le secteur financier ne laissera pas tomber les plus démunis.

Arrêtons-nous quelques instants sur ces facteurs auxquels le secteur financier est confronté à la veille d’une crise économique certaine et sur les conséquences probables de cette situation pour les clients pauvres :

  1. Avant même que le coronavirus n’ait fait son apparition dans les pays du Sud, la dégradation de la conjoncture macroéconomique était suffisamment rapide pour perturber gravement de nombreuses économies en développement : avec l’affaissement de la demande mondiale et la fermeture des usines en Chine, les cours des ressources naturelles ont dévissé ; l’industrie mondiale du textile est pratiquement à l’arrêt ; les travailleurs migrants perdent leur emploi ou sont renvoyés chez eux et les transferts internationaux de fonds semblent en chute libre ; confrontés à l’effondrement des marchés boursiers, les investisseurs se replient sur des actifs sûr ; et les secteurs du tourisme et du voyage sont au point mort. Les pauvres sont les premiers à subir les conséquences de cette situation.
     
  2. La distanciation sociale semble être la seule solution pour enrayer les contaminations. De nombreux pays en développement tentent donc d’appliquer des politiques de quarantaine. Si ces mesures n’auront probablement pas la même envergure qu’à Singapour ou en Corée du Sud, cela ne les empêchera pas d’avoir un effet délétère sur l’aptitude des pauvres à préserver leurs moyens de subsistance. Selon une étude consacrée à l’impact socio-économique de l’épidémie d’Ebola, ce sont les entreprises urbaines informelles non agricoles qui ont été les plus durement touchées. Or ces entreprises sont aussi celles qui représentent la majorité des clients des institutions de microfinance.
     
  3. Selon des données rassemblées par l’initiative MIX, ces institutions fournissent des services d’épargne et de crédit à 140 millions de personnes à faible revenu dans le monde. En 2018, la valeur de leurs portefeuilles de crédit ressortait à 124 milliards de dollars. Leurs clients sont à 80 % des femmes et 65 % vivent en milieu rural. Dans la plupart des pays, ils appartiennent aux couches les plus pauvres et vulnérables de la société. Au-delà du rôle vital de ces institutions pour aider les pauvres à exercer une activité rémunératrice, ces chiffres ne tiennent pas compte de tout l’éventail des services de crédit indispensables à la survie de ces populations. Les coopératives, les fintechs et les services de paiement à l’utilisation occupent également une place importante.
     
  4. L’économie de la microfinance n’est viable qu’avec un taux de remboursement élevé. Une baisse de ce taux ne serait-ce que de 95 à 85 % conduirait en moins d’un an bon nombre d’institutions de microfinance à la faillite. Or nous savons que ce taux risque de chuter nettement plus lourdement puisque, confrontés à un choc abrupt sur leurs revenus, les emprunteurs peinent à joindre les deux bouts. Les précédentes crises de la microfinance nous ont enseigné une chose importante : lorsque les taux de remboursement commencent à diminuer, la dégringolade est rapide. Et soulignons que, pour les activités de contact, les consignes de distanciation sociale vont aggraver la situation.

Pour permettre à la microfinance de survivre à la pandémie, nous devons reconnaître la menace vitale que représente le coronavirus pour ce secteur. Chaque maillon de la chaîne doit commencer à se mobiliser pour assouplir les conditions de remboursement que les emprunteurs sont incapables de respecter lorsque l’économie cale et aider les institutions de microfinance à rester solvables. Il faut aussi se préparer à les recapitaliser pour qu’elles puissent reprendre leur activité de prêt et jouer ainsi à plein leur rôle dans le redressement post-crise.

Comme l’ont rappelé certains observateurs, ce n’est pas la première crise que traversent les institutions de microfinance et un certain nombre d’enseignements ont pu être tirés de ces expériences. Il est d’ores et déjà évident que cette crise aura un impact différent selon le profil des ménages, des institutions et des pays. Mais c’est la première fois, depuis que la microfinance existe, que les perturbations de marché prennent une telle ampleur. Bien sûr, nous préférerions avoir tort à propos des effets dévastateurs de la pandémie de Covid-19 sur les pays en développement, leurs économies et les plus pauvres de leurs habitants — ceux-là même pour qui la microfinance a été inventée. Mais cela paraît peu probable.

Pour permettre à la microfinance de survivre à la pandémie, nous devons reconnaître la menace vitale que représente le coronavirus pour ce secteur. Chaque maillon de la chaîne doit commencer à se mobiliser pour assouplir les conditions de remboursement que les emprunteurs sont incapables de respecter lorsque l’économie cale et aider les institutions de microfinance à rester solvables. Il faut aussi se préparer à les recapitaliser pour qu’elles puissent reprendre leur activité de prêt et jouer ainsi à plein leur rôle dans le redressement post-crise.

À quoi pourrait ressembler notre plan d’action ?

  1. Les investisseurs sociaux doivent envisager, à titre temporaire, de suspendre et annualiser les rendements sur leurs crédits en cours aux institutions de microfinance, repousser les délais de remboursement et assouplir les accords éventuellement passés sur les taux de remboursement, la valeur de l’actif net et le ratio d’adéquation des fonds propres.
     
  2. La plupart des banques centrales envisagent déjà d’injecter massivement des liquidités pour soutenir leurs secteurs financiers en s’affranchissant, le cas échéant, du taux des réserves obligatoires. Nous redoutons que les prêteurs de la microfinance qui opèrent en tant qu’institutions financières non bancaires n’obtiennent pas le soutien nécessaire dans ce plan de sauvetage. Même s’ils ne présentent pas un risque systématique pour les marchés, le fait de ne pas les intégrer dans les mesures de soutien mises en place par les gouvernements revient à les priver d’une aide dont ils ont désespérément besoin pour continuer de fonctionner.
     
  3. Les pouvoirs publics doivent aussi appuyer les solutions permettant de limiter les déplacements et les contacts liés aux transactions de microfinance et réorienter le trafic vers des solutions numériques. Il faudra notamment autoriser les signatures électroniques et le décaissement des fonds après contrôle biométrique et approuver à distance la reconduction d’emprunts. Les plafonds frappant les transactions dématérialisées pourraient être relevés et les frais afférents supprimés ou baissés, suivant en cela l’exemple récent de M-Pesa au Kenya. Les gouvernements qui cherchent actuellement à fournir une aide directe à leurs populations à faible revenu pourraient, dans ce cadre, assouplir provisoirement les limites réglementaires sur les transactions mobiles et les obligations de vigilance afin de permettre à ces clients de basculer rapidement vers des plateformes numériques et d’accéder ainsi à des ressources.
     
  4. Les institutions multilatérales et bilatérales de financement du développement doivent tirer les leçons des crises financières passées pour réfléchir à la manière de structurer les plans de sauvetage des institutions de microfinance, y compris à travers des rachats de portefeuilles de prêts, la création de mécanismes régionaux d’aide financière ou une politique délibérée de fusions. Le moment est venu pour les fournisseurs de financement mixte et, surtout, pour les donateurs, de monter au front.
     
  5. Les institutions de microfinance seront sans doute contraintes de prendre des décisions difficiles pour aider leurs clients — suspension des remboursements, restructuration des prêts en cours et apport de liquidités pour affronter la crise, notamment. Certaines risquent de voir leurs gouvernements décider à leur place, en imposant des suspensions de remboursement sans tenir compte de l’impact sur les prêteurs. D’où la nécessité pour le secteur de se préparer à surmonter ce problème quand il se présentera.

Si les choses étaient simples, il n’y aurait pas de crise… Mais vraisemblablement, faute d’un soutien important et de mesures concertées, la plupart des institutions de microfinance subiront de plein fouet la tempête qui se lève. Dès lors, quelles décisions faut-il prendre aujourd’hui pour garantir la survie du secteur et lui permettre, à terme, de participer à la reprise ? En évitant les questions qui fâchent et en tardant à planifier la riposte à la pandémie de Covid-19, c’est bien tout le mouvement de la microfinance moderne, et non la pauvreté, qui risque d’être relégué au passé.

D’où cet appel que nous lançons à nos partenaires du monde entier à se saisir au plus vite du problème, vu l’urgence de la situation. Avec l’aide de la Financial Access Initiative, le CGAP organisera dans les jours prochains des discussions avec différents acteurs de la finance inclusive pour évaluer l’impact de la crise dans ce secteur et recenser les mesures prises pour anticiper et atténuer le coup de frein imposé à l’économie pour enrayer la propagation du coronavirus. Nous rassemblons des informations sur les décisions politiques prises partout dans le monde afin de comprendre les conséquences qu’elles pourront avoir sur les institutions de microfinance et les fintechs inclusives. Et nous nous tournons vers les investisseurs et les bailleurs de fonds pour voir comment ils se préparent à aider les acteurs de la microfinance à sortir d’une crise qui n’est pas de leur fait. Nous avons ouvert un espace spécial de discussion sur le portail FinDev pour que les acteurs de la finance inclusive puissent s’exprimer et nous les encourageons vivement à partager toutes les informations utiles. Faites entendre votre voix !

La microfinance est le fruit d’une action collective : prestataires de services, bailleurs de fonds, investisseurs, décideurs, universitaires et autres professionnels de terrain, tous unis pour permettre aux pauvres du monde entier d’accéder à des services financiers. Ensemble, nous avons réussi de grandes choses. Aujourd’hui, nous tous, acteurs de ce secteur, devons nous mobiliser pour surmonter cette crise et préserver les gains durement acquis depuis 40 ans. Les centaines de millions de personnes pauvres qui sont tributaires de la finance inclusive pour emprunter, épargner et envoyer de l’argent comptent sur nous.

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