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Comment la révolution numérique peut-elle contribuer au succès de l'agriculture sénégalaise ?

posté par Le Hub de la Finance Digitale , le 13 déc 2022
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Par Adama Diaby, Walid Gaddas, 11 Décembre 2022

Au cours des deux dernières décennies, de nombreux efforts ont été déployés pour relever les défis de l'insécurité alimentaire et nutritionnelle, du changement climatique, du chômage des jeunes et de la croissance économique. L'époque où l'agriculteur africain devait s'en remettre aux services d'un guérisseur pour commencer ou prévoir son activité est révolue. Bien que les pratiques aient évolué, il est plus que jamais nécessaire que les technologies numériques soient une réalité pour les agriculteurs et les acteurs du secteur agricole. La crise mondiale des céréales, liée à la guerre en Ukraine, met le continent au défi d'adopter des alternatives qui favoriseraient sa résilience. Le Sénégal, comme la plupart de ses pairs d'Afrique de l'Ouest, a réalisé un taux de pénétration élevé de la téléphonie mobile, estimé à 116,57 % au premier trimestre 2022, et au moins 20% de ces appareils ont une fonctionnalité de connexion internet. Dans ce contexte, comment la révolution numérique peut-elle contribuer au succès de l'agriculture sénégalaise ?  

Les défis auxquels est confrontée l'agriculture sénégalaise sont nombreux : vieillissement des agriculteurs, faible productivité, manque de projection à long terme des jeunes et des femmes dans l’activité, difficulté d'accès aux financements, effets du changement climatique, etc. Cependant, des réponses pourraient exister dans les technologies numériques proposées par les Agritechs et Fintechs. L’Agritech est une véritable révolution dans le secteur agricole, et le Sénégal devrait franchir le pas pour rester dans la compétition internationale.

«Joindre l’utile à l’agréable »,  faire naître la flamme entre les jeunes et l’agriculture

Agritech1L’Agritech est sans aucun doute un moyen de rendre l'agriculture sénégalaise plus attractive, notamment pour les jeunes d'aujourd'hui qui sont très connectés aux nouvelles technologies. Selon notre recherche récente au Sénégal, sept des huit participants d’un focus groupe de discussion avec des jeunes affirment qu'ils faisaient cette activité parce qu'ils n’avaient pas réussi à avoir un travail après leurs études, et n'exercent l’agriculture que par contrainte et non par motivation. La technologie et une meilleure connaissance de l'entrepreneuriat peuvent rendre le secteur agricole plus attirant.

L'Agritech pour une amélioration du rendement

L’Agritech propose des technologies digitales qui “permettent de produire plus et mieux avec moins” grâce à l’utilisation des données (big data). Depuis quelques années, on assiste en Afrique à l’émergence d’une vague de startups technologiques spécialisées dans les solutions Agritech. Les experts estiment leur nombre à 400 en Afrique Subsaharienne, le projet Agri-tech Tunisia, en a dénombré plus de 50 en Tunisie uniquement. Ainsi, des solutions adaptées aux réalités de l’Afrique existent pour améliorer la productivité agricole, faciliter l’inclusion des jeunes et des femmes et optimiser la gestion des ressources naturelles. Ces solutions à la pointe de la technologie grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle, l’internet des objets, la blockchain, etc... sont cependant faciles d’utilisation. Elles ne nécessitent pas obligatoirement une maîtrise de l’informatique, ni un accès à l’électricité ou à internet. Les algorithmes de ces solutions traitent les données collectées par les capteurs installés chez les agriculteurs et les renvoient  aux utilisateurs sous forme d’informations ou de recommandations que ce soit à travers des applications pour ceux qui disposent de smartphones ou de SMS ou de messages vocaux en langue locale pour ceux qui disposent d’un téléphone mobile basique. Les agriculteurs ont à leur disposition une vaste gamme de solutions qui peuvent les aider à augmenter leurs rendements, à réduire leurs coûts de production, à réduire la pénibilité de leur travail tout en optimisant l’utilisation des ressources naturelles comme par exemple la gestion intelligente de l’eau, la gestion des sols, la détection précoce des maladies et des parasites, les traitements ultra-localisés par les drones, l’estimation des rendements, les logiciels de gestion, et enfin assurer la qualité et la traçabilité des produits distribués en circuits courts et commercialiser ses produits intelligemment via des plateformes de commerce en ligne.

AgritechCIIl y a un engouement pour les technologies agricoles au Sénégal et cela se traduit par le nombre croissant de startups dans l’Agritech (plus d’une quinzaine) et aussi par une très fort intérêt des grandes entreprises agricoles pour les technologies comme en témoigne l'implication des institutions ayant pris part à la semaine de l’Agritech tunisienne au Sénégal. Mais les prochains challenges restent à faire accéder les petits producteurs à ces technologies.  Le développement des agropoles initié par le Gouvernement Sénégalais avec l’appui des Partenaires Techniques et Financiers internationaux pourrait être une piste de solution.

La Fintech renfort de l’Agritech

aLa contribution de la Fintech à l’agriculture sénégalaise peut s'avérer déterminante car elle est un bon levier pour une inclusion financière des populations rurales. Mais les produits financiers numériques n'ont toujours pas réussi à séduire les acteurs de la chaîne de valeur agricole sénégalais. En effet « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi », cette citation de Nelson Mandela illustre bien la situation d’exclusion des acteurs de la chaîne agricole du système financier formel qui propose des solutions pas ou peu adaptées à leurs besoins.

Bien que l’inclusion financière ait connu une croissance fulgurante ces deux dernières décennies, les personnes vivant en zone rurale sont toujours restées sur le tarmac de l’inclusion à la finance en raison de leur situation géographique et de leur profil de risque. Les produits financiers numériques se heurtent à des obstacles d'adoption et d'utilisation dans les zones rurales en raison de la faible couverture des réseaux de téléphonie mobile et d'Internet, et de l’accès limité aux téléphones mobiles. Face à tous ces obstacles, il est nécessaire de faire des efforts à différents niveaux et de soutenir les agritechs pour développer des services qui correspondent aux besoins locaux.
 

L'amélioration de l’éducation à la finance numérique en milieu rural

agritech3Afin d’aider les acteurs à prendre des décisions financières judicieuses et à épargner pour investir dans leurs activités, il faut sortir des sentiers battus en matière d’éducation financière et se tourner vers de nouvelles solutions comme le feedback à fréquence élevée et marketing social. Ce concept consiste à un processus de fusion entre l’éducation financière et le marketing produit. Le but est de stimuler l'adoption et l'utilisation des produits financiers numériques afin d’être un bon levier pour améliorer l’épargne des ménages en zones rurales. Il faut encourager les initiatives prometteuses des Agritech comme la plateforme Wi-Agri, qui offre un guichet unique aux acteurs des chaînes de valeur agricole d'Afrique de l'Ouest en proposant des services financiers, l’accès au marché, les conseils agricoles et l'éducation financière pour les petits agriculteurs, les ouvriers agricoles, les acheteurs, les transformateurs et les exportateurs. L’application SAIDA touche une partie des besoins en offrant le conseil et la météo en langue locale au Sénégal avec plus de 84 000 utilisateurs.  Il y a aussi le modèle MyAgro, un modèle d'épargne et de paiement via une plateforme mobile qui permet aux petits agriculteurs d’'investir leurs propres fonds dans des semences de haute qualité, des engrais et des formations agricoles pour augmenter leurs récoltes et leurs revenus. Cette solution a permis à 45 000 agriculteurs de réaliser une augmentation de récolte de plus de 50%

Amélioration du cadre et facilitation de l’accès aux marchés

agritech2La mise en œuvre de solutions et de services financiers nécessite le développement d'infrastructures routières pour le transport des intrants et l'acheminement rapide des produits frais, des réseaux d'eau pour l'irrigation des cultures, et des réseaux électriques pour l'alimentation des exploitations agricoles et les ateliers de conditionnement ou transformation et de réfrigération, ainsi qu'un réseau de distribution efficace vers les marchés locaux. Les difficultés les plus fréquemment citées pour expliquer le faible taux d’inclusion financière en milieu rural sont le manque d'infrastructures et le faible niveau d’instruction. Mais le principal obstacle reste le manque de stratégie commune à toutes les parties prenantes et de capacités pour construire les infrastructures, et surtout une vulgarisation de l’inclusion financière, par exemple, l’intégration de modules d'inclusion financière dans les formations paysannes comme le Champ Ecole Paysan (CEP). 

Des solutions financières responsables incluant la protection des consommateurs

L'évolution de l'écosystème des services financiers numériques s'accompagne d'une problématique de protection des consommateurs qui nécessite un cadre approprié (juridique et institutionnel), tant au niveau individuel que organisationnel, tout en stimulant la concurrence économique. En effet, il est essentiel de promouvoir un environnement, un climat d'affaires où l'agribusiness peut prospérer et où les consommateurs peuvent avoir la confiance nécessaire pour s'engager sur les marchés concernés et en tirer satisfaction. 

Que doit-on retenir ?

La machine est sans aucun doute en route car le Sénégal n’est pas à son premier coup d'essai en implémentation de solutions Agri-tech . Le pays dispose déjà d’un plan stratégique “Sénégal numérique 2025” qui embarque un axe consacré au développement d’industrie numérique innovante et créatrice de valeurs et un autre consacré à la diffusion du numérique dans les secteurs économiques. Mais comme le dit le dicton de Jean Racine “qui veut aller loin ménage sa monture”. L’heure est venue pour le pays de repenser son avenir par l’adoption de solutions plus impactantes à travers l’amélioration des infrastructures de support, l’éducation financière, la mise en place de solides dispositifs de protection des consommateurs. Pour ce faire, nous appelons à la création de synergies entre l'agrobusiness, les performances du secteur agricole et la réduction de la pauvreté dans les zones rurales du Sénégal.

 

 

 

 

 

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