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Catherine Pattillo : « Le FMI a franchi une étape en Afrique »

posté par Le Hub de la Finance Digitale , le 09 jan 2023
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La planète bouillonne. Un tiers de l’économie mondiale devrait être en récession cette année, tandis que plusieurs pays du continent africain pourraient globalement tirer leur épingle du jeu, selon les pronostics du FMI. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Catherine Pattillo, directrice adjointe pour l’Afrique au Fonds monétaire international, explique le raisonnement du Fonds, revient sur ses grandes lignes stratégiques sur le continent, tout en passant en revue les sujets clés dont la relocalisation des droits de tirage spéciaux, la politique monétaire des pays africains, le lancement de l’Eco au sein de la CEDEAO, l’industrialisation, mais aussi les critiques envers l’institution de Bretton Woods.

Le monde vit une période assez particulière, tant sur le plan économique, financier que géopolitique. En raison de cela, le FMI est-il amené à repenser sa stratégie africaine ?

CATHERINE PATTILLO - Nous traversons effectivement une période très difficile pour le monde et pour notre région. L'Afrique est confrontée, après les chocs du COVID, aux effets de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Nous constatons tous l'impact de la hausse des taux d'intérêt mondiaux et la baisse de la croissance dans de nombreuses économies à l'échelle mondiale. Cela se traduit par une baisse de la demande pour les exportations africaines et par une forte volatilité des prix des matières premières. Alors que les conditions financières mondiales se resserrent et que les taux d'intérêt augmentent, les chocs sur les prix mondiaux des aliments et des carburants s'accentuent. Cela arrive au moment où les décideurs africains étaient déjà confrontés à des marges de manœuvre budgétaires drastiquement réduites, en raison notamment des mesures prises pendant la pandémie visant à soutenir les populations vulnérables. Les décideurs africains voient en outre leur vulnérabilité face à la dette s'accentuer.

Au niveau du FMI, nous réagissons aux nouveaux défis. Dans notre dernier rapport sur les perspectives économiques régionales, nous identifions deux priorités : l'insécurité alimentaire et la nécessité de réfléchir à la politique monétaire. En ce qui concerne la politique monétaire, je voudrais simplement souligner qu'il y a longtemps que l'on se concentre autant sur l'inflation élevée et que sur les défis, parce qu'avant ces chocs, l'Afrique avait connu beaucoup de succès en passant d'une période où l'inflation était très élevée dans un certain nombre de pays à une période où l'inflation et la macroéconomie étaient beaucoup plus contrôlées.

Aujourd'hui, la politique monétaire des pays africains est au centre de nos préoccupations. Mais globalement, la stratégie du FMI dans la région n'a pas changé. Nous nous concentrons sur l'aide aux pays qui font face à des pressions sur leur balance des paiements, qui développent des politiques macroéconomiques et structurelles contribuant à une croissance durable. Nous intensifions nos efforts pour aider les pays de toutes les manières possibles. En cela, nous avons beaucoup innové récemment, y compris pendant la pandémie, avec notamment des financements d'urgence, l'allocation de DTS... nous soutenons un nombre record de pays avec le financement de 22 programmes actifs dans la région qui s'adressent aux pays touchés par le choc alimentaire mondial. De plus, lors des réunions annuelles à Washington, nous avons lancé le nouveau Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (FRD), qui sera un financement abordable à plus long terme pour les pays confrontés au défi existentiel du changement climatique. Et nous cherchons à voir comment nous pouvons étendre et adapter notre boîte à outils de prêts pour davantage appuyer les pays en cas d'urgence.

Le tiers de l'économie mondiale devrait connaître la récession selon le FMI. L'Afrique devrait globalement y échapper avec une croissance du PIB certes en baisse, mais non loin des 4% (3,7%). Comment l'expliquez-vous ?

La croissance mondiale va être plus faible. Et pour notre région, nous avons connu en 2020 l'une des pires récessions depuis très longtemps, avec une croissance négative de 1,6. Nous avons ensuite entamé une reprise en 2021, et la croissance s'est améliorée pour atteindre 4,7%. Et maintenant, cette reprise de la croissance a été brusquement interrompue, puisqu'elle a été réduite à 3,6 % en 2022. Clairement, l'année 2023 ne sera pas tellement meilleure. Même si la croissance est supérieure à 3 %, elle ne revient pas à ce qui est nécessaire pour que la croissance réelle par habitant soit suffisante pour aider les gens à améliorer leur niveau de vie. Notre région a connu une très forte réduction de sa croissance, mais commençait à rebondir.  Nous espérions voir les écarts de production commencer à se combler, mais avec le choc de la guerre en Ukraine, nous avons toujours un potentiel de croissance plus faible.

 

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